Victimes collatérales / Bouclier humainJe pense avoir entendu pour la première fois l'expression "victimes collatérales" lors de la première ou de la deuxième guerre menée par les USA et leurs alliés en Irak.À peu près à la même époque, on a aussi commencé à entendre les belligérants occidentaux se plaindre que leurs ennemis utilisaient des "boucliers humains" (derrière lesquels se cachaient des dirigeants ou des centres militaires névralgiques).On a depuis longtemps souligné comment ce nouveau jargon servait à minimiser ou occulter le nombre de victimes causé par les actes de guerre occidentaux - mais occidentaux seulement : car, au contraire, si l'ennemi des occidentaux frappe une cible entraînant la mort de civils, alors il ne s'agit pas de victimes collatérales, et on ne parle pas de bouclier humain, mais d'un crime de guerre effroyable, d'une attaque terroriste contre des populations.Les bombardements à Gaza et maintenant au Liban font des victimes collatérales, disent les responsables israéliens. Ils espèrent faire passer le génocide d'une population en "victimes collatérales" - mais ils n'ont pas d'autre choix étant donné que l'ennemi se dissimule "parmi les civils", considérés donc comme un vaste bouclier humain (de plusieurs millions de personnes).On en viendrait presque à croire que ceux qui sont à plaindre ce sont les chefs de guerre contraints de "faire des victimes collatérales" : ils sont eux-mêmes victimes de la fourberie et de la ruse de leurs ennemis. On notera que les "victimes collatérales" sont généralement des personnes racisées. Les victimes d'atroces actes terroristes, la plupart du temps, sont blanches.L'autre chose frappante, concernant la notion de "bouclier humain", c'est qu'on pourrait s'attendre à ce qu'il soit efficace, c'est-à-dire que la présence de civils autour d'objectifs militaires constitue bel et bien une dissuasion. On ne bombarde pas les civils, qu'ils servent (soit-disant) ou pas de bouclier. Mais, dans les conflits où ces notions de victimes collatérales ou de bouclier humain ont été utilisées, cela n'a en rien dissuadé les belligérants de frapper les civils. Il n'y a rien de plus indécent, du point de vue moral, que l'usage de ces expressions, qui n'ont d'autres buts que de justifier aux yeux d'une certaine opinion publique des actes criminels (et exonérer les responsables, au moins partiellement, de les excuser si l'on peut dire).Relisez l'histoire récente des conflits dans lesquels ont été engagées les forces occidentales. Vous verrez à quel point nous avons été imprégnés de cette pensée d'une guerre "juste", et moralement défendable, y compris quand elle impliquait le massacre de populations civiles.Les bombes nucléaires larguées sur Hiroshima et Nagasaki constituent de ce point de vue le sinistre modèle de la "collatéralité des victimes" - en réalité, vaincre l'ennemi en anéantissant la population et en répandant une terreur sans nom. On a oublié les débats qu'avaient soulevé ces crimes monstrueux après guerre. On oublie beaucoup. Si l'on n'oubliait pas tant, les guerres et les génocides seraient impossibles.Je conclue cette réflexion bien trop rapide en faisant entendre la voix de "victimes collatérales" et de "boucliers humains" :Quand est-ce que la destruction et la mort, ça va arrêter ?متى ستنتهي الدمار والموت؟https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/09/25/quand-on-sera-mort-est-ce-que-jentendrai-ta-voix-les-questions-des-enfants-de-gaza/#VictimesCollaterales #Genocide #Guerre #BouclierHumainNB : ça me fait penser à ce que j'avais noté concernant la "culpabilité collective" - là aussi, un "concept" (d'une réalité atroce) qui permet de justifier un génocide ou des meurtres de masse (par exemple par bombardements). Cette idée est centrale dans le chef d'oeuvre de l'historienne Priya Satia, Time’s Monster : How History Makes History (Havard University Press 2020)https://outsiderland.com/danahilliot/culpabilite-collective-la-genealogie-funeste-de-ahn/